7 mars 2012
Portrait de Zulia Mena, afrocolombienne Mairesse de Quibdo
Par: LIZETH SALAMANCA BOTIA
Elle dirige l'une des villes ou la corruption est la plus présente et la plus arriérée de la Colombie.
Le soir du 13 mars 1993, Zulia María Mena, une jeune militante de la région du Choco en Colombie qui se battait pour revendiquer les droits des communautés afrodescendantes est allée se coucher pour se reposer. Après un mois et demi d'escapades politiques et sans aide financière alors qu'elle était candidate à la Chambre de Représentants pour son département, elle était convaincue que les cartes étaient jouées lorsqu'elle avait entendu les derniers résultats du scrutin. Il était déjà 21h30 et elle atteignait à peine les 700 votes.Zulia pensa que c'était trop peu pour pouvoir siéger au parlement.
Mais au bout de cette nuit, le décompte des voix laissa apparaître un résultat inespéré. Le lendemain, l'actuelle mairesse de Quibdo se réveilla avec 40.000 voix en sa faveur qui faisaient d'elle, à 26 ans, la première représentante d'ascendance africaine à obtenir un siège au Congrès. Zulia, à l'esprit guerrier, respira calmement. La voix indignée d'un pays en quête d'égalité ethnique s'étai fait entendre.
Il s'agissait là d'une femme qui, depuis 10 ans était obsédée par une seule aspiration, celle de servir la population, et qui dès les années 80, s'était consacrée à promouvoir et à diriger l'Organisation des Communautés Noires qui défendait le territoire et les ressources naturelles de l'Atrato . La coauteure de ce qu'on a appelé le 'Télégramme Noir', qui en expédia 30000 exemplaires à l'ancien Président César Gaviria pour demander que les personnes de race noire soient reconnues en tant que groupe ethnique ayant droit au territoire.
La même qui, mégaphone en main, influença la réforme constitutionnelle de 1991 et cinq minutes avant la levée des procès-verbaux de ce vote historique avait réussi à faire inclure l'article transitoire 55, qui reconnaît les droits sociaux, politiques, économiques et territoriaux des afrodescendants.
En outre, peu de temps après son arrivée au Congrès, elle réussissait à donner vie à la Loi 70 de 1993 ou Loi des Négritudes, qui protège le droit de propriété collective de ces communautés.
Aujourd'hui, cette femme tranquille à la voix sereine dirige une des municipalités les plus arriérées et théâtre des problèmes de corruption administrative et d'inégalité sociale les plus importants en Colombie.
Cette fois, le pays a de nouveau entendu son nom associé à une victoire politique lorsqu'elle a réussi à s'emparer du pouvoir des Sanchez Montes de Occa, une famille qui tenait les rênes du département depuis les 12 dernières années et dont les membres, comme l'ancien maire et ancien gouverneur de Quibdó Patrocinio Sánchez de Occa et son frère Odin, répondent actuellement devant les tribunaux pour divers délits.
Mena, qui avait perdu les élections à la mairie en 2007 s'est lancée dans la course en 2011 avec une coalition regroupant Cambio Radical et le Partido Verde soutenu pour la première fois par le Partido Conservador et Polo Democrático. C'est ainsi qu'elle a réussi à s'imposer avec 42% des voix sur le candidat de l'U, Jafet Bejarano.
Née le 21 Novembre 1967 dans le canton de Campobonito, au bord du fleuve Munguidó, et issue d'une famille modeste d'agriculteurs, cette travailleuse sociale de profession, diplômée de l'Université Technologique du Chocó José Luis Córdoba, spécialiste en administration sociale et territoriale et des questions ethniques et de genre, n'a pas choisi d'être politicienne, mais de faire de la politique, comme elle dit, car, "les grandes transformations dépendent des décisions que prennent les dirigeants."
Peut-être est-ce pour cette raison qu'elle a inculqué à 'Gigi', sa fille de 17 ans, l'importance d'assumer avec responsabilité les conséquences des actions.
Mena dispose désormais de ce qui pour beaucoup est un cabinet de pairs enviable, constitué de politiciens de renom et d'experts, parmi lesquels se distingue Alonso Salazar, ancien Maire de Medellin, dont le rôle peut-être crucial sur les questions de sécurité, Cecilia Maria Velez, ancienne Ministre de l'Éducation, Judith Pinedo, ancienne Mairesse de Cartagena, et Eduardo Cifuentes, ancien Magistrat de la Cour Constitutionnelle et ex-Défenseur du Peuple. Ils auront pour mission d'accompagner et d'orienter les secrétaires d'administration de Mena.
Son talon d'Achille
"C'est une leader reconnu par la base sociale, mais sur laquelle les gens ont placé beaucoup trop d'espoir parce qu'ils croient qu'elle est le sauveur de la crise institutionnelle. Ils attendent d'elle des réalisations qui dépassent la réalité en si peu de temps", explique le père Napoléon Garcia Amaya, coordonnateur régional de la MOE dans le Choco.
En fait, certains affirment que malgré sa volonté de sortir le Choco de son retard, elle a débuté son mandat avec un cabinet "faible et sans expérience" avec lequel elle prétend développer des projets qui semblent "sortir du pays des merveilles."
Japhet Bejarano, son adversaire lors des dernières élections, s'inquiète de ce que Mena n'ait pas réussi à concrétiser des propositions après près de deux mois de vie de son administration.
"Elle doit commencer à montrer quelle direction elle veut donner à la ville par des actions concrètes", explique Bejarano.
Mena rétorque que son travail a été retardé par la faiblesse des rapports de gestion laissés par l'administration précédente, raison pour laquelle elle se consacre à "organiser la maison" pour connaitre la situation réelle de Quibdó et formuler le Plan de Développement Territorial , qui sera prêt le mois prochain. Elle espère transformer ce document en plan plan d'action et se fixer des objectifs précis en fonction de ces lignes directrices.
"Mon objectif est de mener de manière responsable l'administration de Quibdó. Si je réussis, j'aurais établi un précédent dans la façon de faire la politique dans le Choco et un changement dans la conscience des communautés. Ce sera mon héritage", dit-elle.
Zulia reconnait que son talon d’Achille est d’être trsè perfectionniste et stricte dans le travail. "J’aime que les choses soient bien faites là et maintenant. C'est ce qui fait que j'ai du mal à comprendre que les autres n'aillent pas à mon rythme", dit-elle, et plusieurs de ses collaborateurs conviennent qu'elle est "grincheuse" face à la médiocrité.
Ceux qui la connaissent la décrivent comme une travailleuse acharnée et persévérante. "C'était une fillette qui laissait ses études pour s'occuper de sa communauté et ensuite, elle revenait en classe et occupait les premières places. Elle a toujours bénéficié d'une bourse complète et tout le monde la respectait beaucoup ", se rappelle Elsy Ortiz, une des ses camarades d'Université. "Parfois, on se moque d'elle parce qu'elle ne sait pas danser. Elle a consacré sa jeunesse au travail social quand beaucoup d'entre nous ne pensaient qu'à la rumba", indique Ortiz.
Aujourd'hui, Zulia n'est plus la même qu'à l'époque de ses débuts de membre du parlement, quand elle a fini par être dépassée par ce monde inconnu par elle. Elle affirme avoir connu les pires aspects de la condition humaine, ce qui, plutôt que de la déconcerter, lui a permis de renforcer son esprit.
"Elle n'est plus aussi belliqueuse sur la question des droits des Noirs et ne se laisse plus non plus emporter par sa passion. Elle est mieux organisée, davantage centrée sur ses objectifs et inclue des autochtones et d'autres groupes défavorisés dans son combat", indique Mario Diaz , un de ses vieux amis.
Zulia parcourt désormais les rues de Quibdo au quotidien. Sa journée peut commencer à 3 heures du matin et se terminer à minuit, à l'écoute de sa communauté. Elle s'assure ainsi de "faire du bon travail" et de réaliser un de ses rêves: consolider la marque vive de la municipalité comme Centre Mondial de la Biodiversité. Pour ce faire, elle n'hésitera pas à faire appel à la "femme au mégaphone et aux talons," comme elle se définit.
Lizeth Salamanque Botia
Rédactrice de El Tiempo
Traduit de l'Espagnol par Guy Everard Mbarga http://guyzoducamer.afrikblog.com
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