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Afrodescendants d'Amérique Latine et des Caraibes
8 juillet 2011

Dennis Watlington : "Obama a endormi notre lutte"

par Maurício Pestana |

 

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Né dans le quartier de Harlem à New York en 1952, cinéaste, acteur et écrivain, Dennis Watlington a marché sur le fil du rasoir toute sa vie comme personnage principal d'un drame qui affecte une partie significative de la jeunesse afroaméricaine des ghettos : l'implication dans l'univers des drogues. A 14 ans, après avoir changé d'écoles plusieurs fois, il est devenu héroïnomane et après avoir surmonté cette étape, il a obtenu une bourse d'études à la Hotchkiss School, l'une des principales écoles de son pays. Plus tard, il est entré à l'Université de New York et s'est mis à se battre pour les causes civiles, s'impliquant dans le théâtre et le cinéma. Mais le monde marginal et la drogue ont de nouveau croisé son chemin et Dennis se retrouva accroc au crack. Et de la même manière, il surmonta tout cela pour un auteur de télévision gagnant, remportant même un Emmy Award. Avec le livre Chasing Amérique, Dennis montre le meilleur et le pire de ce que l'Amérique offre à un noir et, dans cet entretien exclusif, l'artiste révèle un pays peu dépeint dans les films hollywoodiens, où même le président Barack Obama n'échappe pas à ce regard différencié qui vient du ghetto.

Dans Chasing America, on retrouve le meilleur et le pire qu'un système comme le système américain  - copié par presque toute la planète comme un exemple de démocratie et de droits - peut  offrir à un noir. Au final, qu'offre-t-il en réalité?

Vous devez comprendre que j'ai 58 ans, mon temps de vie a traversé un moment critique aux les États-Unis au cours des dix premières années de mon existence. Le pays vivait une période triste et nous avions très peu de droits. Nous bénéficiions d'un quart de la valeur d'un citoyen nord-américain. Par la suite, le travail de Martin Luther King et due mouvement des droits civiques ont eu un impact très puissant. En 15 ans, plus ou moins, je suis passé de nègre, qui est péjoratif du point de vue de la couleur, à noir, et à afrodescendant. Les choses ont très vite changé. Le mouvement des droits civiques noirs a été le plus important pour les personnes de couleur et pour les femmes également dans l'histoire nord-américaine. Si vous vous imaginez le verre vide pendant 300 ans, qui au cours des 50 dernières années est devenu à moitié plein, il faut encore remplir l'autre moitié, dans de nombreux cas ce sera difficile, mais après 300 ans d'esclavage, c'est une réalisation phénoménale. Nous sommes arrivés au point de départ réel. J'imagine qu'il y aura beaucoup de résistance. Nous allons tenter de remplir le verre complètement.

Vous êtes le bon exemple d'un programme d'action affirmative, vous qui avez reçu une bourse d'étude pour une école importante. J'ai vécu une expérience pareille, et la grande difficulté était de suivre le reste des étudiants, plus préparés et venant de classes sociales plus nanties. Avez-vous également fait face à ce type de problème?

Je suis entré dans cette école très riche, une des meilleurs des États-Unis, à travers ce qu'on appelle des situations un peu inhabituelles. J'ai été accro à l'héroïne dans les rues de Harlem pendant trois ans et demi, et j'ai failli mourir et j'ai fini par attraper l'hépatite par le biais d'une aiguille contaminée, sale. Quand je suis sorti de l'hôpital, j'avais peur d'avoir une rechute et deux choses me sont arrivées: j'ai découvert John Lennon et quand avec Yoko Ono, ils luttaient pour la paix dans le monde. Ils m'ont attiré par ce qu'ils faisaient et m'ont montré que je pouvais être un guerrier pour la paix et non pas un guerrier par la sauvagerie dans laquelle j'avais été jusque-là. La deuxième chose c'est que les gens voulaient que je poursuive ce voyage, que je participe à des réunions dans d'autres ghettos pour parler en mal des drogues. Ai cours de l'un de ces événements, un homme blanc de 45 ans, cheveux grisonnants et ivre aimait ce dont je parlais et a dit : "Vous êtes un gars super, je vous aime bien, je veux que vous alliez à la Hotchkiss School. Je ne savais même pas ce qu'était Hotchkiss que c'était, mais quelqu'un m'a dit que le gars était riche et que c'était une école  pour riches seulement. Trois semaines plus tard, il a appelé le centre communautaire que je fréquentais à Harlem et a demandé que j'aille à Wall Street, dans son bureau. J'ai découvert que cet homme valait près d'un milliard de dollars. Il voulait que j'aille à cette école de riches, même si je n'en avais pas fréquenté au cours des trois dernières années, parce que la seule chose que je faisais c'était de m'injecter de l'héroïne.

Et comment fut le vivre ensemble dans une école de haut niveau? Le contraste a dû être difficile.

Malgré le fait que je n'avais  pas la formation suffisante, par son pouvoir, il m'a fait entrer dans l'école. Et entre le monde que John Lennon prêchait, j'ai rapidement découvert que: " Oh, je veux une Porsche." Entre John Lennon et une Porsche, je préfère une Porsche. Les éléments se sont réunis, la chimie était parfaite. Moi, un pauvre afrodescendant de Harlem qui entre treize et seize ans passaient six mois entre la prison et l'extérieur, un criminel sans aucune possibilité de faire autre chose que de survivre. En deux ans, j'ai été chef et président de classe. Les gens ont voté pour moi, ils étaient riches et sont devenus de grands présidents d'entreprises aux États-Unis. J'étais dans une l'école à parler aux jeunes adolescents en situation de  risque et j'ai utilisé le fait que mon passé prouvait qu'ils pouvaient tout faire. L'Ambition, les connaissances et les arts n'appartiennent à personne d'autre que celui qui va à leur rencontre et va les chercher. Pour moi ce n'est pas une théorie, c'est ma vie.

Au Brésil, il y a peu de cinéastes noirs qui travaillent pour la télévision, il n y en a pas plus d'une demi-douzaine. Le reflet de cela est une grande invisibilité des Noirs à la télévision brésilienne, qu'il s'agisse des émissions de divertissement ou de télédramaturgie. Ce problème existe-t-il également aux États-Unis?

Je suis un des rares afrodescendants qui écrivent ou peuvent écrire pour la télévision. Les grands réseaux ont des listes de ceux qui peuvent écrire pour eux. Aux États-Unis, un grand progrès a été réalisé, mais la plus grande partie de ce progrès part de la classe moyenne vers le bas, à cause de la législation. Ce sont des opportunités qui s'ouvrent à ce niveau de travail des services publics, tout cela a fonctionné, a augmenté. On rencontre les plus gros problèmes dans la classe moyenne et dessus,  dans laquelle se produit la plus grande partie de l'exclusion. Je vais vous te raconter un exemple: avez-vous vu la dernière cérémonie des Oscars? C'est fondamentalement une fenêtre pour le monde de la culture américaine. Mais si vous y aviez assisté pour la première fois, sans rien savoir des États-Unis, vous penseriez que la majorité des Américains sont des blancs libéraux, la majorité de la population. C'est là le plus gros problème. Les démocrates libéraux utilisent des personnes de couleur et réussissent à les faire rendre les républicains coupables, du fait qu'ils seraient racistes. Mais juste en regardant ça! Ils ne font pas la fête, ne célèbrent pas avec nous, ne vont pas à la messe avec nous, ne vivent pas avec nous et n'aiment pas nous recruter. C'est l'Amérique!

Mais vous avez parlé de progrès et une telle image ne reflète pas tant de progrès.

Quand on regarde l'aspect historique, oui, il y a eu de nombreuses avancées au cours des 50 dernières années, principalement entre les années 60 et 70, la période des droits civiques, en 1964. En 1965, le droit des électeurs. Et en 1973, sont arrivés les Actions Affirmatives. C'est le président Richard Nixon qui les a signé.

De là, il y a eu un bond pour arriver à Obama ...

Plus ou moins ... Nous avons avancé au milieu, entre les pauvres et les classes moyennes, mais nous ne sommes pas passés de la classe moyenne au dessus comme cela aurait dû être le cas. Il y a une paralysie, le problème de l'élection d'Obama est que les libéraux pensent qu'il n y a plus de problème, puisque qu'il y a un noir là. Et le problème n'est pas terminé! Nous sommes toujours les derniers en employabilité et en termes d'opportunités dans le cinéma. Le monde du divertissement est très blanc, de ceux qui font vraiment de l'argent. Nous avions des portes paroles voix qui questionnent suffisamment les limites que la société américaine nous impose, avant Obama. Jesse Jackson et d'autres étaient des leaders forts sur la le chemin des changements, des voix puissantes qui nous aidaient à progresser. Depuis qu'Obama est devenu la plus importante présence noire aux États-Unis, les Afro-Américains qui ne veulent pas nous offenser ou nous blesser restent tranquilles. Somme toute, le pigment est tombé au lieu de progresser. J'aime Obama et je n'ai rien contre lui, mais il a endormi notre lutte.

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Cela rappelle un peu ce qui s'est passé au Brésil avec les mouvements sociaux. Avec la montée de Lula, il y a eu un certain accommodement, puisque ces mouvements avaient un représentant au plus haut poste du pays. Et comment surmonter cette phase?

Eh bien, honnêtement, ce que je vais dire, peut même sembler un peu radical, mais c'est la réalité. Ironiquement, si nous avions un président blanc, actuellement, on serait mieux que dans cette situation d'arrêt.

Il ne faut pas oublier que Colin Powell et Condoleezza Rice ont fait partie d'un gouvernement républicain, et blanc!

Condoleezza Rice est un fonctionnaire publique du gpuvernement de plus haut niveau dans l'histoire américaine. Et parce qu'elle est républicaine, personne ne connait tout son potentiel. Si elle était une démocrate, tout le monde le connaitrait, et j'ai écrit à ce sujet et posé la question: " Peut-être qu'elle non plus  n'est pas noire". Je ne suis pas républicain, mais je respecte le fait qu'une femme noire puisse évoluer vers une fonction aussi haute, et cela nous ramène aux libéraux-démocrates aux États-Unis. Ils veulent nous faire avaler leur idée de ce qu'est la pigmentation. Parfois, je suis très controversé, parce que j'ai eu cette vie dans cette école de blancs si riche et celle à Harlem de l'héroïnomane. J'ai appris à faire face à des humains en tant qu'individus. Regardez des individus comme Condoleezza Rice, Colin Powell et un autre noir qui est à la Cour suprême - dont je n'aime pas non plus les décisions - mais je veux le respecter, car j'imagine combien ce fut difficile pour eux d'y arriver.

Votre biographie évoque des opportunités brisées à cause de la drogue. Qu'est ce qui pousse quelqu'un à échanger un avenir meilleur contre une poignée d'héroïne, de cocaïne ou de crack?

Il n y a pas de raison de prendre de la drogue. Les drogues puissantes créent des esclaves, et une fois que vous êtes esclaves, vous devenez esclave d'une substance, rien d'autre ne compte. Je voulais mon crack, mon héroïne, plus que je voulais une épouse, des enfants, des opportunités. Et j'ai eu tellement d'occasions ... J'étais le seul Noir qui écrivait pour le New York Times, Vanity Fair, j'ai une liste là. Les États-Unis me traitaient presque comme un blanc, ce qui était une prouesse. Mais en fin de compte, même si je combattais mon abus des substances, j'étais un esclave et le pire de tous, je volais. J'aurais même volé les dents en or sur le chevet de ma grand-mère. Et quand elle sourit, putain (rires). Je n'ai pas d'excuses à faire. J'ai simplement la chance d'avoir tant de frères et sœurs. Je ne suis pas mort! J'ai été chanceux de ne pas en être mort.

Qu'est-ce qui vous a fait arrêter les drogues?

J'avais tout perdu, j'ai vendu les meubles de ma maison, j'avais de la poudre à plusieurs endroits, je n'avais que de la poudre. Dans mon cas, j'en suis arrivé à mendier auprès du trafiquant: " Pour l'amour de Dieu, donne-moi quelque chose." Une fois un trafiquant de drogue était dans l'escalier, et je me suis mis à genou, en demandant pour l'amour de Dieu d'avoir un peu de drogue gratuite. Il m'a dit qu'il m'en donnerait , mais seulement si je lui permettait d'uriner sur moi ... (A ce moment, Dennis fait une pause dans son discours et se montre très ému). Ce fut pour moi le moment du changement, mais chacun doit faire face à cette décision. J'appelle ce moment «try or die», ou essayer ou mourir ou expérimenter ou mourir. Je m'en souviens comme si c'était hier. "Si tu essayes de faire ça, je te tue." Les trafiquants sont très lâches et il a probablement senti l'intensité en moi, la force avec laquelle j'en parlais. Il a eu peur. Je ne racontais pas cette histoire depuis des années, je me souviens, le crack vient dans une capsule en plastique et il a dit: "Prends". Il l'a jeté par terre. Malgré années passées, même aujourd'hui, j'entends le bruit jusqu'à présent, le son de la capsule tombant sur les marches.

Le Brésil a une grande diversité culturelle avec une forte présence de la culture noire. Quelle est votre perception du pays?

Pour moi, la première perception du Brésil s'est produite dans les années 60. Et aux États-Unis à ce moment, je n'avais jamais vu une nation qui avait un visage noir, une personnalité nationale noire comme Pelé, car dans les années 60, avec l'histoire des droits civils, il n'y avait personne d'aussi foncée que l'on traitait comme un roi, avec tout ce respect nulle part ailleurs. De l'extérieur, le Brésil était différent, et un lieu qui parvenait, à ce moment, à se projeter au niveau international avec une personnalité noire. Je ne connais pas les éléments intérieurs, donc je ne peux pas me prononcer.

Barack Obama était récemment au Brésil et il a un grand charisme ici, principalement au sein de la communauté afrobrésilienne. Peut-être, contrairement aux États-Unis, il fait presque l'unanimité ici, mais son passage a été très contesté. Les gens s'attendaient à ce qu'il dise qu'il était heureux de visiter le plus grand pays noir en dehors de l'Afrique. Les actions d'Obama sont elles également grandement remises en questions parmi les Afro-Américains?

Les Afro-Américains sont assez pareils, que ce soit au nord dans mon pays ou au sud dans le vôtre. Le fait est qu'ils se sentent engagés à cause de la couleur de peau, et de plein de manières, il a été une déception. Pour pouvoir être réélu, Obama a besoin de ses électeurs blancs, et il fait très attention de ne pas mentionner les Afro-Américains, parce qu'il a peur de perdre l'élection. Il est important de se rappeler qu'il a grandi à Hawaï, où 1 à 2% de la population est afrodescendante. Obama avait ce grand-père noir, des grands-parents blancs, une mère blanche et un père africain qui avait abandonné le foyer très tôt. C'est le seul afrodescendant que je connais qui a une planche de surf.

Mais il a Michelle!

Quand il rencontre Michelle, il va vers le sud de Chicago, de ce côté "Afrique" de Kennedy et pour la première fois de sa vie, il a un contact significatif avec la communauté afro-américaine. Son histoire est davantage celle d'un grand Américain qui vient ici de l'autre côté du monde, et non pas un Afro-Américain comme moi, j'ai le sang esclave de mes ancêtres, mes parents ont souffert la ségrégation, les 300 ans d'esclavage et du fait d'être noir et de toutes ces choses contre lesquelles nous devons nous battre et batailler pour arriver là où nous sommes. Obama n'est pas passé par tout cela et c'est pour cela qu'il a pu devenir président et obtenir suffisamment de votes des blancs. Il n'était pas un "brother", c'était un cousin, et là se trouve la différence.

Quel fut votre sentiment en remportant l'un des prix les plus importants de la télévision américaine, les Emmys?

 Je le méritais simplement!

 

Traduit du Portugais par Guy Everard Mbarga http://guyzoducamer.afrikblog.com/

 

http://racabrasil.uol.com.br/cultura-gente/156/paginas-pretas-do-submundo-das-drogas-ao-sucesso-221147-1.asp

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