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Afrodescendants d'Amérique Latine et des Caraibes
15 novembre 2009

Entrevue Óscar Paredes : leader afroéquatorien

Óscar Paredes a travaillé toute sa vie contre l'injustice, pour les droits des communautés et des migrants

Paredes

Au milieu d’un bois peu épais, réfugié entre les arbres qui entouraient pendant un temps la colline de El Batán Alto, à Quito, un gamin de six ans pleurait furieusement, avec amertumea, rêvant de disparaitre de ce monde injuste tel qu’il l’avait connu jusqu’à présent.

C’était en 1967. Ce petit garçon afrodescendant, né dans le hameau de Salinas, dans la Valle del Chota, avait migré dans la capitale avec ses parents deux années plus tôt, et la vie changea pour lui d’une façon dont il ne pouvait s’imaginer à cet âge où la parole d’un adulte se confond avec la vérité indiscutable; surtout si l’adulte est blanc, dans une société où avoir la peau noire est un délit, dans un endroit où la justice ne sévit que pour les descendants des esclaves, comme ce fut le cas de Lucas Beauchamp dans le feuilleton émouvant Intruso en el Polvo, de William Faulkner.

À 48 ans, Óscar Paredes est encore ému en pensant à l’épisode qui a marqué son destin. Aujourd’hui, il est l’un des 25 latino-américains les plus influents aux États-Unis. Établi dans la ville de New-York, il dirige le Projet des Travailleurs Latino-Américains (Proyecto de los Trabajadores Latinoamericanos - PTLA), dont le combat pour les droits humains et du travail des migrants s’est vu octroyer de nombreuses reconnaissances nationales et internationales.

  Leader communautaire, musicien, écrivain, danseur, professeur d’université, pratiquant du vaudou et de la religion Yoruba; Paredes affirme que son combat pour la justice sociale a débuté ce matin de l’année 67, lorsqu’il fut obligé de se cacher dans le bois pour éviter la volée que la maitresse de son école voulait lui administrer lorsqu’il se rendit compte que le sang des blancs était également rouge, tout comme le sien, et non bleu comme on le lui avait fait croire.

Étant né à El Chota, qu’est ce qui a fait que vous vous retrouviez à diriger une organisation sociale aux États-Unis?


  Ce qui m'a motivé c'est l'injustice. Le fait d'être descendant d'africains en Équateur, d'avoir grandi en étant fils d'ouvriers d’exploitation agricole, misérables, exploités, travaillant plus de 60 heures par semaine; ils n'avaient même pas une paire d’espadrilles, ni une paire de pantalon; j'ai donc commencé à me demander pourquoi on était si pauvres?

À quel moment avez-vous pris conscience de la situation d'injustice dans laquelle ils vivaient ?

Dès tout petit. Lorsque j'avais 4 ans, nous avons déménagé à  Quito, à  Bellavista dans El Batán Alto. Nous étions huit frères et sœurs en plus de mes parents et on vivait dans une seule chambre. Nous étions la première famille afro dans El Batán, et c'est là que j'ai commencé à ressentir le racisme et la haine. Le fait d'être pauvres et d'être afrosdescendant était un crime dans le voisinage. Quand on marchait dans les rues, il y avait des gens qui ouvraient les portes et sortaient pour nous frapper, ou ils ouvraient les fenêtres et nous regardaient ; c'était comme un défilé; ils nous criaient dessus : “negro cuzcuz, mece el arroz”(noir couscous, balance le riz), des choses comme ça. Ils disaient à mes parents qu’ils étaient des criminels, des voleurs. Donc, chaque semaine, mes parents se battaient avec les voisins. Ils ne nous aimaient pas.

De quelle époque parlons-nous là?

Je suis né en 1961, j'avais quatre ans, donc c'était en 65.

Vous travailliez déjà?

Non. On m'a d'abord mis à l'école.

Dans le même voisinage...

Oui, j'y suis entré avec mon frère Vinicio; nous étions les deux seuls afrodescendants là-bas. Ma mère nous disait: “vous devez être bons, vous devez apprendre ce que les enseignants vous disent, parce qu'ils savent beaucoup de choses ... et ce sont des blancs, ils savent plus de choses que nous ”. Et nous on croyait cela.

Comment fut votre expérience?

Lorsqu’on était à l’école, nous étions les objets des moqueries de Tous. On n’avait ni souliers, ni tenues scolaires. On était en arrière dans les rangs, et on nous mettait aussi derrière en classe. Mon frère Vinicio qui réprouvait cette situation reçut de nombreux coups, et il arrêta donc; j’ai passé en deuxième année avec de bonnes notes.

“Ma motivation c’était l’injustice. Le fait d’être afrodescendant en Équateur”

C’est là qu’il y eu cette histoire avec le sang de la maitresse ...


Oui. En classe, l’enseignante disait  “les espagnols nous ont apporté la langue, les bonnes mœurs ; ils sont nobles, ils ont le sang bleu ”. Moi je l’ai crû. Jusqu’au jour où la maitresse était en train de ranger un globe et elle s’est coupée le doigt. J’ai vu que du sang rouge coulait; je me suis mis à sauter et à crier “madame a du sang rouge, elle est comme nous”. Elle  s’est transformée; a pris un bâton et a commencé à me battre. Je me suis échappé de la classe. Quand je suis arrivé à la maison, mon père m’a donné une raclée. Le jour suivant, je ne suis pas retourné à l’école. Je comprenais que l’école, ce n’était pas pour nous, que les enseignants étaient des monstres sans cœur.

Et vous avez vécu dans les rues?


J’ai débuté une nouvelle façon de vivre, j’ai commencé à devenir un homme dès l’âge de 7 ans; car la lutte dans la rue est encore plus forte. J’ai commencé è survivre. J’ai ciré les chaussures, lavé des voitures et à 8 ans, j’ai commencé à travailler dans la construction.

Mais vous vous êtes éduqué en autodidacte...

Hé bien j’avais un ami, Abraham, qui était plus grand que moi, il m’apprit à lire. Il aimait la Revolución Cubana, et il avait des revues du Che. On se rejoignait dans la rue, et il me lisait cela; je voulais être comme le Che, pour lutter contre l’injustice, et les mauvaises personnes. J’ai commencé à fouiller dans les ordures des riches; je prenais des cahiers et je m’en allais, puis j’enlevais les pointes des bâtons de glace, et je copiais les lettres sur le sol.

Comment réussissez-vous à surmonter cette étape?

Une des choses à laquelle je pense c’est que j’ai des anges gardiens, ce sont les ancêtres qui me protègent. Car je me suis retrouvé au milieu de multiples formes de danger et mon esprit était toujours lucide; je n’ai pas cédé, même à la cigarette. C’était une lutte que je menais, mais je me sentais toujours protégé. E déjà à cet âge, je rêvais que j’étais ailleurs, dans un pays différent, que je faisais des études et que j’allais à l’université dans un endroit avec plein d’édifices ; je ne m’étais jamais imaginé que c’étaient les États-Unis...

Mais avant de sortir du pays, vous avez été un militant politique en Équateur...

Oui, j'ai travaillé dans la construction jusqu'à mes 15 ans. Dans ce milieu, j'ai rencontré des compagnons indigènes qui m'ont parlé des processus d'organisation dans les campagnes. Je me suis impliqué dans cette démarche. Dans le même temps, j'ai commencé à lire des livres de Lenine et de Marx; même comme je ne les comprenais pas beaucoup, c'était un niveau de langue assez avancé et compliqué. Mais c’est par la pratique des thèmes organisationnels avec eux que j’ai commencé à comprendre. J'ai de plus commencé à m'intéresser davantage à la culture, car une des autres choses desquelles j'ai commencé à douter c'est que depuis toujours, on nous avait dit que les noirs n'ont pas de culture. Il y a même une religieuse qui est allée jusqu'à nous dire que les noirs sont maudits, que nous ne sommes pas les enfants de Dieu qu'on nous a expulsé du paradis. 

Comment avez-vous réussi dans cette recherche de votre culture?

J'ai commencé à fréquenter le Centre d'Études Afro (Centro de Estudios Afro), mais il n y avait pas non plus beaucoup d'information. Par la suite je suis entré à l'Institut Andin des Arts Populaires (Instituto Andino de Artes Populares...)

C'est de là que vous avez débuté dans la musique et dans le théâtre...

Oui. J’ai commencé à faire de la musique de protestation. C'est dans ce cadre que j'ai connu Jaime Guevara, Carlos Michelena, Ataulfo Tobar; ils étaient tous de cette période et Adriana et Víctor du groupe Saltimbanqui,  qui m'ont invité à faire du théâtre de marionnette. Là, j’ai compris davantage sur les aspects politiques, sociaux et culturels. Par le biais des arts, nous avons commencé à organiser les prisonniers de la prison pénale de García Moreno, avec des fonds du département de la culture de la Banque Centrale. Et avec les camarades del Chota, nous avons formé le groupe Familia Negra, pour diffuser notre musique. Dans les années 80 fut enregistré le premier disque de bomba, avec les gens du hameau.

Avez-vous jamais eu des contacts avec les cellules guérillera qui commencèrent à se former ici ?

Non, jamais. Mais j’ai effectivement vécu la répression. Febres Cordero persécutait Tous les jeunes ayant une mentalité visant à générer des changements et à lutter pour la justice.

On nous considérait donc comme des guerrilleros, comme des alafristes ou comme des narcotrafiquants. On arrivait dans des endroits où les gens qui travaillaient dans les haciendas étaient misérables, on les organisait, on faisait des réunions et on les faisait voir qu’ils étaient exploités. Par la suite, on ne nous permettait plus d’accéder à ces lieux. Les gens se cachaient lorsqu’ils nous voyaient arriver. On leur demandait ce qui se passait, et ils nous disaient “guaguas, allez-vous-en, car le père a dit à la messe que lorsque vous arriverez, qu’on vous attrape et qu’on vous batte”.

Est-ce la raison pour laquelle vous êtes sorti du pays?


Oui. Je suis parti  en 87, à Mexico. J’y suis resté quelque mois et je me suis fait un ami, musique canadien qui m’a invité à me rendre dans son pays. Comme j’avais besoin d’un visa de transit pour entrer aux États-Unis, je me suis rendu au consulat avec la lettre de mon ami et tous mes papiers. Un américain m’a demandé ce que j’allais faire au Canada, je lui ai expliqué que j’allais faire de la musique et il m’a accusé de vouloir entrer dans son pays pour y rester travailler. Il a pris mon passeport et a mis le tampon d’annulation sur chaque page... Je lui ai dis: “tu n’avais aucun droit de faire ça avec mon passeport. Tu ne veux pas que j’aille dans ton pays, mais demain même j’y serai”. Et il s’est mit à rigoler. “Et comment tu vas t’y prendre?”. “Ce n’est pas ton problème” lui ai-je répondu. Et la semaine suivante, je me retrouvais à New York, je suis entré de façon illégale par Tijuana.

Comment vous vous  y êtes pris?


Ça s’est fait facilement. J’ai engagé un coyotero(passeur), qui m’a expliqué que entre neuf heures et neuf heures et Demi, il n y avait pas de garde, parce que c’est le changement de garde. C’était du cinéma pour moi, car il y avait tout d’abord les hélicoptères et les véhicules 4x4; mais à neuf heures, il n y avait personne. Et à ph30, ils commençaient à poursuivre les gens. Je me suis rendu compte qu’il y avait quelque chose de bizarre, car c’est tout de même inconcevable qu’une puissance guerrière délaisse sa frontière pendant trente minutes.

Comment vous êtes vous mis à travailler avec les migrants après être arrivé à New-York ?

J’ai d’abord commencé à travailler. Le deuxième jour de mon arrivée à New-York, j’ai rencontré un groupe de musique andine ; Ils étaient tous des amis à moi. On jouait dans le métro.

Comment avez-vous surmonté le problème de la langue ?

J’ai appris dans la rue. Dans le métro même. Nous étions célèbres, parce que nous étions le seul groupe à jouer ces instruments. Jaime Vega, un camarade parlait bien l’anglais en plus de maitriser l’allemand. Il me donnait des cours, après je suis entré dans une école et j’ai appris la danse et la percussion afro.

Toujours à la recherche de votre culture ...

Oui, j’ai pris des cours (danse) de la Guinée, de Sénégal, du Bénin, du Nigéria. Puis les danses latines, l’afrocubaine, afrocaribénne, afrobrésilienne. C’était intéressant, parce que mon enseignant de Guinée me disait: “nous connaissons toute votre histoire ; nous savons que vous avez été enlevés du continent, mais nous vous attendons toujours et nous voulons que vous y retourniez, car vous êtes des africains ”.

De quelle manière   cette rencontre avec votre culture ancestrale a t’elle influé sur le travail que vous avez développé par la suite?

C’est de là que j’ai compris le processus de syncrétisme, car les africains de tout le continent furent capturés et emmenés ici en Amérique Latine; et on les mélangeait pour les vendre, pour qu’ils ne puissent pas communiquer entre eux.  Après quatre années d’études et d’apprentissage, j’ai obtenu un contrat pour travailler à l’École des Arts de West Palm Beach en Floride. J’y ai travaillé pendant un an à donner des cours, et ils m’ont légalisé.

“Comme je n’étais pas retourné à l’école, le processus d’autodidactie que j’avais entrepris m’a aidé à ne pas être comme dans un cadre”

Qu’avez-vous pensé du rejet, du racisme contre les noirs aux États-Unis?

Quand je compare avec l’Équateur,  je sens que le racisme ici est beaucoup plus cru qu’aux États-Unis. Là-bas, le racisme est plus institutionnalisé, à travers des lois. Ici, le racisme se manifeste encore dans le fait par exemple de maltraiter une personne parce qu’il n’est pas de la couleur qui plait aux autres;  ici, les Noirs n’ont toujours pas une valeur égale aux êtres humains.

Là vous commencez à organiser les journaliers migrants. Parallèlement à cela, avez-vous réalisé votre rêve d’étudier à l’université?

À New-York, j’ai fait des équivalences pour obtenir le certificat de fin d’étude collégiale, puis je suis entré à l’université, mais pour prendre les cours dont j’avais le plus besoin pour continuer à organiser la communauté. Par exemple, la littérature, pour savoir écrire, le droit du travail, seulement des matières dont j’avais besoin, mais pas comme pour un cours normal. Bien que si je faisais les examens, avec toutes les choses que j’ai apprises, je ne sais combien de doctorats j’aurais, mais cela ne m’intéresse pas du tout.

Après toutes vos reconnaissances, que pensez-vous du parcours de Jeune gamin de 7 ans ?

Je suis fier. Mais, ça a surtout été un processus qui a impliqué beaucoup de personnes; j'ai eu de nombreux guides. Cette même maitresse qui m'a maltraité, car si ça n'avait pas été le cas, je  ne serais pas là ou je suis actuellement. Je n'aurais pas eu l'aspiration d'être un révolutionnaire. En plus, comme je ne suis jamais retourné à l'école, je n'ai plus été la victime d'aliénation ; et le processus d’autodidactie que j’ai entrepris m’a aidé à ne pas être comme dans un cadre. C’est pourquoi j’ai écris un livre, entre le conte e t la poésie. Il a pour titre De sangre azul; (De sang bleu)” et il est en train d’être traduit à l’anglais. J’espère pouvoir rentrer bientôt en Équateur pour organiser la communauté d’ici.

Javier López Narváez
xlopez@telegrafo.com.ec

Reporter

Traduit de l’Espagnol par Guy Everard Mbarga

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