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Afrodescendants d'Amérique Latine et des Caraibes
5 septembre 2009

Au Brésil, les noirs peuvent-ils se permettre des voitures de luxe?

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La victime

Source: Global Voice

Traduit du Portugais par Guy Everard Mbarga

Au cours des dernières semaines du mois d’août, le débat sur le racisme et les préjugés au sein de la société brésilienne a été alimenté par un événement qui a provoqué un sentiment de révolte à travers le pays. Januário Alves de Santana, un homme noir de 39 ans a été brutalisé par des agents de sécurité de l'un des plus grands magasins du Brésil, alors qu’il attendait sa femme et ses enfants dans le parking. Il a été accusé d’essayer de voler sa propre voiture. Les agents de sécurité ont allégué que, puisque Januário est un homme noir, il ne serait pas en mesure de posséder un Ford EcoSport.

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"Interdit aux Noirs" par Juarez Silva Jr.

Rachel Glickhouse dans Adventures of a Gringa décrit avec précision le cours des événements du 07 août, racontés par Gennaro. Elle écrit:

Alors qu’il était debout à l’extérieur de la voiture, il a remarqué plusieurs personnes suspicieuses s'approchant de lui. Puis, l’un d’eux qui était en réalité un agent de sécurité s'approcha de lui et sortit un pistolet. Il attaqua Januário sans s’identifier, et Januário ne savait pas s’il s’agissait d’un agresseur ou d’un policier. Pendant qu'ils sebattaient, les passants appelèrent à l’aide, et Januário pensa qu'il était sauvé. Plusieurs vigiles de Carrefour s’approchèrent, et il expliqua qu'il s'agissait d'un malentendu- qu’il n’était pas en fait en train de voler la moto à côté. Les agents de sécurité l’empoignèrent et le conduirent dans une petite pièce pour "décrypter " ce qui s'était passé. "Ainsi", lui dirent-ils:" vous avez volé une EcoSport et vous étiez également  en train d’essayer de voler une moto ? "

Les cinq agents de sécurité se mirent par la suite à battre Januário sans raison, dans ce que le rapport original a désigné comme étant une “séance de torture“ avec coups de poing, coups de tête et de pistolet utilisé comme un fouet, des coups dans les dents avant de le laisser alors qu’il saignait abondamment.

Januário dit qu'il a essayé d'expliquer que la voiture lui appartenait, et que sa petite fille, encore bébé,  se trouvait à l'intérieur tandis que sa famille faisait les courses. Ses agresseurs l'ignorèrent. "Tais-toi, sale n *****. Si tu ne la fermes pas, je briserai tous les os de ton corps ", cria l’un d'eux. Ils riaient lorsqu’il insista sur le fait que le véhicule lui appartenait. Le passage à tabac dura environ vingt minutes, avant l'arrivée des policiers.

Il poursuit sa narration en disant que "la torture n'allait pas prendre fin", même après l'arrivée de la police:

Un des policiers du nom de Pina, ne crut pas à "l’histoire " de Januário. "On dirait que tu as été en prison pas mal de fois. Allez, admets-le, c’est OK ", lui dit l'agent de police. Un autre policier ne crut pas qu’il était un agent de sécurité, et se mit à lui poser des questions sur les règles de sécurité. Enfin, les policiers se rendirent jusqu’à la voiture de Januário et confirmèrent qu’elle appartenait bien à ce dernier ainsi qu’à son épouse. Sa famille était là, choquée de le voir saigner, les dents cassées. Sa fille dormait encore dans la voiture.

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Si j'étais comme ça, me regaderiez-vous différemment?

Les policiers quittèrent Januário sans lui proposer leur aide ou appeler une ambulance. Lorsque sa famille l’amena à l'hôpital, Januário fut traité pour choc et lacérations. Depuis, il a déjà perdu 8  kg, il souffre d'insomnie, il ne peut pas retourner au travail, et jeudi dernier, il a été opéré d’une fracture osseuse au visage. La famille a déposé une plainte à la police de la région, et selon la version de la police, ses coups étaient le résultat d'une «querelle» et d’une «bagarre entre des clients."

Carrefour a émis une déclaration déplorant le malentendu et en indiquant qu’ils collaboreront à l’enquête. Januário envisage de poursuivre à la fois le supermarché et l'Etat de Sao Paulo, et de vendre la voiture pour laquelle il doit encore payer des traites mensuelles de 789 $ sur 72 mois.

Dans la mesure où l'affaire a eu un grand retentissement dans l’ensemble du pays, la plupart des gens ont manifesté de la sympathie envers Januário. Le blog Censored indique de nombreux autres cas de préjugés contre les Noirs commis par la sécurité de ce grand magasin, et demande ironiquement à ses lecteurs:

Chers lecteurs, donnez-moi un conseil. Si un jour j'ai besoin d'acheter un shampooing à Carrefour, est-ce que je dois emmener un ami blanc avec moi?

Maria Fro répondit à l’article original d’Afropress sur son blog, en ajoutant un titre différent qui paraphrase le livre “Não Somos Racistas” ("Nous ne sommes pas racistes") du journaliste Ali Kamel. Le titre du post est:

Selon Kamel, nous ne sommes pas racistes. Nous sommes presque des meurtriers.

Le blog de Pão e Rosas a rejeté avec véhémence le cas en contestant le mythe de la démocratie raciale brésilienne:

Le discours des intellectuels, des politiciens bourgeois et les médias qui disent avec véhémence : "Nous ne sommes pas racistes" revient à la surface suite à cette affaire scandaleuse qui met en lumière la reproduction du racisme dans la plus violente et la plus dégoûtante des manières. Toute cette supercherie de démocratie raciale s'effondre devant des cas comme celui-ci - et nous pourrions en énumérer bien d'autres qui ont attiré l'attention avant de tomber dans l’oubli, et le plus souvent sont restés marqués par l'impunité.

Juarez Silva Jr., du Blog Juarez suit cette ligne d’idée et conteste également  le mythe selon lequel le Brésil des mélanges culturels soit une démocratie raciale paisible:

C’est vrai ... quand le noir sort de son  «stéréotype et de sa place «dans la société» « il en paie le prix », après tout, s'il n’avait pas  une belle voiture,  peut-être que rien de tout cela ne serait arrivé, n’est ce pas?? Fatigués d'avoir des problèmes à cause de sa situation sociale qui ne correspond pas à celle «attendue» par la société, la victime pense déjà à vendre la "voiture " problématique [...]
Que Dieu me protège des contraintes  de mon Adventure voyante dans le stationnement de ce réseau ... BOYCOTTE MAINTENANT.

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Manifestation contre le racisme dans le parking de Carrefour. Photo par @ Berlitz de Twitpic

Dans Geledés Institut de la femme noire , de nombreuse personnes ont déploré cette nouvelle et ont rempli la boite de commentaires d’idées de révolte. Par exemple, Ayraon dit:

Ce n’est qu’au Brésil qu’on pense que le racisme est voilé. De quel voile ! Ce n’est que celui qui ne veut pas voir qui ne voit pas, autrement dit, le peuple brésilien est abusé par une vision dénaturée de lui-même. "Nous sommes métisses!" Dit-on, “Il n'y a ni noir ni blanc”, dit un autre, alors que dans le même temps ce Noir inexistant dit souffrir du racisme. Là-bas à l’étranger, celui qui connaît le Brésil, ne peut pas comprendre comment ce pays, depuis si longtemps peut cacher son racisme maladif.

Ici, nous vivons dans la folie collective: les Blancs pensent que le racisme n'existe pas, qu’il existe dans la tête des Noirs (des Noirs qui selon  certains Noirs et Blancs n’existent pas), les Noirs disent que le racisme brésilien est «voilé», et beaucoup acceptent cette situation (certains disent même qu'ils n'ont jamais subi le racisme, même s’ils en sont la cible au quotidien). L'histoire du bahianais me rend triste, parce qu'elle se répétera encore et encore, et encore si nous ne faisons rien. Allons-nous faire quelque chose?

Comme pour répondre à cette question, la mobilisation a déjà débuté. Il y a eu une manifestation le 22 août et, selon le Geledés Institute, une plus grande manifestation contre le supermarché se tiendra le 5 Septembre.

La question raciale est très complexe pour les pays qui ont été des colonies de pays développés et hantés par l'esclavage, beaucoup de préjugés restent présents dans leurs sociétés contemporaines. Le Brésil est un endroit marqué par l'asservissement violent des noirs Africains qui a duré plus de 300 ans et qui fut, d’une certaine manière, une branche du secteur économique au cours de la période coloniale. Le racisme a toujours été lié aux relations sociales dans le pays. Les Noirs d'aujourd'hui ont hérité de ce stigmate social et souffrent de racisme dans de nombreux aspects de la vie au quotidien. Mais c'est une question qui doit être abordée en détail dans le cadre d’un autre post.

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