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Afrodescendants d'Amérique Latine et des Caraibes
23 janvier 2009

Emanoel Araújo, artiste afrobrésilien : "Ceux qui ont le pouvoir économique dirigent la culture"

par MAURÍCIO PESTANA | Photos RAQUEL ESPÍRITO SANTO

RAÇA : Vous êtes noir, Bahianais et fils de Ogum, quel fut le plus grand défi auquel vous avez dû faire face pour devenir l’un des artistes plastiques les plus importants du pays?

Emanoel Araújo : Ils ont été si nombreux que j’en oublie, mais ce qui est sûr c’est qu’il m’a fallu beaucoup de ténacité, du courage et également un peu de chance. Et aussi plus d’aspiration que d’inspiration, le travail et le fait d’être toujours engagé ont été déterminants, peut-être que c’est le destin et aussi la possibilité de rupture qui m’a fait quitter Santo Amaro da Purificação, à Bahia, pour aller étudier à Salvador, et qui m’a également fait quitter Salvador pour aller exposer à Rio de Janeiro et qui m’a fait venir à São Paulo avec l’intention d’y vivre. Ces moments sont des moments que l’on s’impose, qui déterminent des objectifs et sont indépendants des obstacles que vous aurez à vaincre.

Pour quelle raison la présence du noir dans les arts plastiques est-elle quasi inexistante? 

Ce n'est pas vrai seulement dans les arts plastiques. Nous sommes absents des fonctions administratives, des ministères, de la diplomatie, et tout cela se répète dans la société, les médias, notre disparition est effective à tous les niveaux, même dans cette catastrophe qui s’est produite dans l’un des états les plus riches du pays Santa Catarina (N.R. Il fait référence aux crues qui ont dévasté la région de Vale do Itajaí en novembre 2008), il n  y avait aucun noir. Mais si c’était dans un des  états les plus pauvres du Nordeste, on aurait certainement vu, car, même parmi les pauvres, nous sommes les plus pauvres et tout cela se reflète dans les arts. Imagine un noir avec un portfolio dans les mains, dans une galerie d’art des Jardins à São Paulo? Il va se faire tuer, on dira que c’est un voleur!

Le Brésil a attendu presque 500 ans pour avoir son premier ministre de la culture noir, même si la culture noire a une présence majoritaire. Cela explique mieux ce paradigme. Il existe des formes passives et des formes actives de culture. Il y a des personnes qui chantent, dansent, font de la peinture, s’exposent au cinéma, au théâtre, etc. Et il y a ceux là qui s’asseyent et paient pour voir de la danse, la musique, le cinéma, le théâtre et qui achètent également les œuvres artistiques. Ce second groupe est celui qui va investir, soutenir. Ce n’est pas seulement vrai au Brésil, c’est également le cas aux États-Unis. Si vous observez ceux qui dirigent la culture, ce sont toujours ceux qui détiennent le pouvoir économique et le pouvoir n’est pas encore entre les mains des noirs.

Lorsque vous avez pris la direction de la  Pinacoteca, avez-vous rencontré une certaine résistance étant donné que vous deveniez le premier noir à diriger cette institution vieille de quatre cent ans?

Bien sûr, les fonctionnaires mêmes de la Pinacoteca ont envoyé une pétition au gouverneur demandant des explications au Secrétaire à la Culture de l’époque qui était Adilson Monteiro Alves. Nous avons dû nous mobiliser pour demander au Mouvement Noir une pétition sous forme de télégramme pour renforcer, avec le gouverneur, l’invitation de Adilson. Et quand je suis arrivé à la Pinacoteca pour entrer en fonction le 13 juin 1992 – et voyez-vous, j’étais déjà un artiste reconnu, primé etc., j’avais une carrière respectable depuis 1965, soit près de 30 ans d’exposition – j’ai du entendre des insultes du genre : "Écoutez, comment se fait-il que avec autant d’artistes blancs à São Paulo, c’est vous un noir et un bahianais qu’on est allé chercher?". Ce genre de choses sont arrivées, il y a eu une certaine résistance et pour renvoyer "cette résistance", j’ai travaillé de manière ardue pendant 10 ans et donné le meilleur de ce que je pouvais, transformant la Pinacoteca en l’un des musées le plus respecté au pays.

Après le succès de la Pinacoteca, vous êtes allés diriger le Secrétariat de la Culture et maintenant vous dirigez le Musée Afro-Brasil. Et puis, vous avez une expérience dans l’administration de la question publique. Pour quelle raison les noirs sont-ils presque inexistants dans les hautes sphères du gouvernement au Brésil ?

Au delà du racisme présent dans notre pays, on peut également attribuer cela à un échec de notre part. Le Mouvement Noir dans les années 60, 70 s’est perdu, ce fut une génération perdue, il n’a pas réussi à former des leaders et est donc resté un mouvement sans pouvoir. Très peu ont pu avancer avec leurs propres questions personnelles, certains ont suivi une carrière académique, d’autres se sont occupés de leur vie et n’ont pas pensé à un projet politique de pouvoir. C’est quelque chose de grave, mais c’est bien que ça arrive pour que à présent nous puissions garder les yeux bien ouverts, car il est impossible que dans ce pays, avec une communauté noire aussi grande et qui pourrait dépasser la communauté blanche nous n’ayons pas un mouvement politique qui nous appartient. Nous devons arrêter de danser la Samba, de faire la musique axé et le carnaval et commencer à penser à une action politique, nous placer devant les problèmes de façon organisée.

Des extraits de votre lettre de démission du Secrétariat de la Culture indiquaient que la culture au Brésil et particulièrement dans la ville de São Paulo était très élitiste et exclusive. Cela a-t-il changé?

Il n y pas eu de changement. Elle reste exclusive, pas seulement dans la culture, mais comme la vie publique et privée qui l’est au Brésil. Par rapport au racisme, le préjugé est tellement grave que nous n’arrivons pas à changer ce panorama, et même lorsque les journaux, la grande presse, abordent cette fête le 20 novembre, avec ses pages qui consacrées à la  question noire, cela reste la même litanie qui se faisait dans les temps des revues Manchete, Cruzeiro, c’est-à-dire que l’on redécouvre quelque chose d’évident: le Brésil est un pays de racistes, qui paie moins les noirs, et ce sont les mêmes balivernes. C’est ainsi que la Folha dans un article qualifie Barack Obama de mulâtre! Il n’est pas mulâtre ! Il est noir, mulâtre c’est un truc propre au Brésil.

Vous avez réussi que ce soit dans les arts ou en tant qu’administrateur public dans un secteur majoritairement blanc. Que signifie le fait d’être noir dans un monde presqu’exclusivement blanc et comment est votre relation avec le monde noir?

Ma relation avec le monde blanc est plus active qu’avec le monde noir. Je pourrais dire que j’ai été " adopté " et que je suis reconnu pour mon travail, pour mon leadership, mon sérieux et mon professionnalisme... et pour beaucoup d’autres raisons. Maintenant, je ne sais pas si le monde noir le reconnait ou non, même si lors de l’épisode de la Pinacoteca j’ai reçu pas mal de marques de solidarité. Ce que je regrette dans la communauté, c’est l’insuffisance politique en termes de soutien  au travail que je fais, relativement à cet univers noir, à l’histoire noire au Brésil, car elle est au sommet du fondement de la question noire, mais le soutien que je reçois pour ce travail est de fait blanc.

Les États-Unis ont élu leur premier président noir. Dans ce pays, les noirs représentent un peu plus de 13% de la population, ici nous sommes presque 50%. Quand pensez-vous qu’une telle prouesse sera possible dans ce pays?

Je ne le verrais certainement pas, et je pense que même si vous êtes plus jeune, vous non plus ne le verrez pas. Par exemple, j’ai été invité il y a longtemps à devenir professeur de publicité à New York, dans une université fondée au 19ème siècle par des juifs et qui est aujourd’hui une université noire. C’est une université noire qu’on a là, même si elle est d’origine judaïque, mais le président est noir et la plupart des étudiants sont également noirs, et il ne s’agit pas seulement de noirs des États-Unis, ils viennent également d’Afrique, des Caraïbes et il y a aussi quelques orientaux. Donc, je pense qu’il nous manque cette formation et cette possibilité d’éducation, c’est la raison pour laquelle les quotas sont fondamentaux pour que cela se produise. Et comme nous en sommes loin, je crois nous sommes également loin d’élire un noir à la présidence.

Vous croyez donc en la force des universités noires ici?

Je n’y crois pas, car notre condition est différente, notre schéma social est différent, les droits civils n’ont pas été une conquête comme aux États-Unis. Là-bas, la question protestante de l’éducation est différente, cette histoire de religion catholique en relation avec la société noire ici est toujours mystique, folklorique et elle a toujours fait perdre au noir la possibilité de révolte, et le peu de personnes qui se sont révoltées sont mortes. Je pense donc que c’est très difficile, presqu’impossible.

De quelle manière la communauté noire peut-elle assumer le Musée Afro-Brasil, le plus grand de ce type en Amérique Latine, comme étant sien?

Il faut voir ce qui a été fait, car l’espace du musée en lui même n’est pas élitiste, c’est-à-dire qu’il n’intimide pas, comme cela est naturel dans ces espaces. Il faut voir le musée, il faut le visiter, se l’approprier! C'est-à-dire, incorporer la force que le musée devrait avoir, car si ce musée arrête de fonctionner un jour, qui va le défendre? Qui? Ce ne seront pas les blancs de São Paulo car, même eux réclament que le musée se déplace vers le Parque do Ibirapuera - ils disent d’ailleurs qu’il devrait être à Bahia, et non à São Paulo. Imaginez-vous, São Paulo est une ville italienne, japonaise, allemande – ils oublient la négraille, du café, du sucre.

Quel différence y a t’il entre le défi passé de diriger la Pinacoteca et l’actuel à la tête du Musée-Afro do Brasil? 

À la Pinacoteca, les gens disent: "oh, quelle merveille!"Ils sont encore reconnaissants de mon passage là-bas, et maintenant qui est ce que le Musée Afro-Brasil va-t-il remercier dans l'avenir ? Les étrangers? Dans l’avenir, les enfants qui fréquenteront le Musée, certainement! Les remerciements ce n’est pas le problème, mais le musée a une typologie, il a une conception pour la communauté noire, il est le miroir pour que ces personnes puissent voir, pour que les enfants puissent voir et savoir qu’il y avait des esclaves, mais qu’ils étaient également des charpentiers, menuisiers, et après ils furent des combattants de la Guerre du Paraguay, ce sont eux, qui avec Henrique Dias, ont expulsé les hollandais, ils ont fini avec les fouets sur les navires... c’est donc bien qu’il sachent ces choses. Que nous avons eu un capitaine, un général, des gens qui ont occupés des fonctions importantes, et que cela n’e s’est étrangement pas développé, et pourquoi? Pourquoi n y a-t-il pas eu d’évolution?

Vous dites que les noirs étaient plus intégrés au 19ème siècle, cela signifie-t-il que nous avons régressé aujourd’hui ?

Au 19ème siècle, il y avait les frères Rebouças, qui ont donné leur nom à l’avenue, Paulo Abrito, le premier propriétaire d’édition au Brésil, c’est lui a lancé Machado de Assis, c’est lui qui a d’ailleurs embauché Machado. L’ingénieur Peçanha, qui fut président de la République était mulâtre, même Teodoro Sampaio, qui a schématisé la production d’eau à São Paulo... Ils faisaient partie de l’élite culturel, et aujourd’hui, qui a-t-on de représentatif, quels sont les grands noms ?

Qu'en est-il de ce projet de transformer le Musée Afro-Brasil en organisation sociale?

Le problème du Musée est qu’il n’est pas autonome financièrement, nous ne disposons pas de beaucoup de ressources, nous ne recevons que 1,9 de réals de  la préfecture ce qui est peu pour administrer notre structure qui compte plus de 100 fonctionnaires, sans compter les frais liés aux expositions. Les parrainages sont de plus en plus difficiles à trouver plus difficiles et telle est donc l’option que nous avons actuellement, de transformer le Musée en une Organisation Sociale permettrait de sortit de ce cadre d’Organisation de la Société Civile d’Intérêt Public (OSCIP). De cette façon, nous assurerions davantage de ressources pour sa survie, c’est la seule solution. Le Musée est à bout de force, et moi de même. Après 14 années consacrées à cette question publique au Brésil, j’en arrive à mes derniers soupirs.

Traduit du Portugais par Guy Everard Mbarga

Le talent indiscutable de Emanoel Araújo a contribué de façon directe à sa réussite en tant que gestionnaire de musées et de maisons de culture, particulièrement de la Pinacoteca d’État de São Paulo où il a introduit une dynamique qui a conduit à l’accès du grand public à diverses expositions de dimension internationale. Aujourd’hui à la tête du Musée Afro-Brasil, l’artiste se bat pour apporter de la visibilité à cet espace. Polémique, brillant et plein de personnalité, le bahianais de Santo Amaro da Purificação a conquis le monde et écris son nom dans les pages de l’histoire.

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