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Afrodescendants d'Amérique Latine et des Caraibes
9 août 2008

À la rencontre de Yuraima Blanco, chef gastronome afrovénézuélienne

Ce sont simplement les circonstances qui l’ont conduit aux portes de la Kasa Loka (Casa loca : maison en folie). Ce n’était même pas de la chance. On les lui a simplement ouvert. Et depuis lors —cela fait sept mois*— on peut la voir faire la cuisine pour les membres d’une famille  — pas les Adams, mais presque— dans laquelle celui qui mâchouille le moins mâchouille un chewing-gum avec toupet et sans gêne.

María Elisa Espinosa. Photo: Natalia Brand 

Traduit de l'Espagnol par Guy Everard Mbarga

Même si la télévision n’avait jamais été son truc, jusqu’à présent, Yuraima Blanco s’y déploie comme une gazelle. Délicate et surtout placide, on la voit occuper les espaces d’une cuisine dans laquelle est déjà passé plus d’un chef; même si elle est celle qui est y est restée, avec sa tête rasée, son teint foncé, ses dents hyper blanches et une sérénité qui semblerait être à l’épreuve de la lokura —oui avec K (locura = folie en espagnol)— dont selon elle personne n’est dépourvue entre ces quatre  murs. Même pas les techniciens. Ni elle-même, “la Negra”(la Noire), comme tous l’appellent sur le plateau, dans la rue, en famille et dans la vie.

Comment êtes-vous passée des fourneaux au petit écran ? Qui vous a découvert?


Televen. J’étais ici en décembre 2004 quand je travaillais en tant que chef-directeur du restaurant  Mazara Bar. Je suis venue avec mon équipe de cuisiniers  pour préparer une tarima, et il y a un truc qui s’est passé, un je ne sais quoi qui a fait qu’ils m’ont appelé en janvier pour un casting. À la suite de ce service que nous avons donné, nous sommes tous repartis heureux, et ce que j’avais pris pour un caprice (de la chaine) m’a amené à  cette Kasa Loka où j’essaie de faire un peu mieux chaque jour en demandant des suggestions au public pour qu’il m’aide à lui donner l’information dont il a besoin. Car c’est de cela qu’il s’agit dans la vie: apprendre et laisser aux autres ce que l’on a ”.

Devant les caméras, vous semblez pourtant déjà être comme un poisson dans l’eau...


“En fait, nous avons une équipe divine. À Televen on fait un excellent travail je pense à cause des gens qui y travaillent. Il y a beaucoup de communication, on accepte les erreurs et on se corrige. Les gens t’aident, te soutiennent, te  poussent... Henrique Lazo, Ana María Simon, Jean Paul (Leroux) ont été un excellent soutien pour moi, sans compter l’équipe de production qui représente tout ce que j’ai derrière moi pour que la Noire puisse donner quelque chose”.

Étant la 15ème sur 18 frères et sœurs,  Yuraima, la Negra, la chouchou d’alors et désormais celle qui chouchoute, est née à la Maternité Santa Ana de San Bernardino, car sa mère était infirmière et y travaillait  à l' époque. Néanmoins, elle s’identifie —et se sent de— Barlovento, “car j’ai été élevée là-bas, même si je suis née à Caracas, en 1970; et donc mon âge est désormais public. J’ai peu de choses à cacher, car j’ai une famille si grande qu’elle se charge – avec un détail donné par chacun de ses membres – de divulguer tout ce qui me concerne (rires)”.

Racontez nous un peu ce que ça fait d’être née entre les fourneaux.


“En fait, mon père et ma mère sont nés à  Curiepe, dans l’État de Miranda. En réalité, toute ma famille, autant du côté de ma mère que de mon père est originaire de là-bas. Et si j’ai été élevée entre les fourneaux, c’est parce que pour ma grand-mère, mon papa, ma maman, mes oncles, mes frères, pour absolument tout le monde, étant donné qu’on est une famille si grande, cuisiner dans une cuisine avec quatre fourneaux a toujours été un peu compliqué. C’est ainsi que j’ai grandi entre les fourneaux, et les fourneaux me donnent beaucoup de force, tout d’abord parce qu’ils me rappellent tout ce lignage que j’ai de personnes qui ne sont plus ici bas, comme ma grand-mère et ma mère qui m’ont appris à ne pas avoir peur des budares (planches de cuisson)  sur lesquelles on peut placer  40 arepas (galette de maïs)  ou des marmites pouvant contenir 80 litres de soupe. Donc je vis encore entre les fourneaux. Je garde le fourneau constamment en feu. ”.

Peut-on cuisiner alors qu’on a des soucis à l’esprit?


“Je pense que le fait de cuisiner te fait les évacuer, car cela t’occupe. D’une certaine manière, cela favorise des sensations différentes qui te permettront de mieux discerner les choses après avoir fait la cuisine et en partant du plaisir, on résous toujours mieux les choses ”.

Ça en fait beaucoup des soucis?


“Non, moi je suis vraiment très occupée. Et c’est en fait par habitude que je suis très occupée, car je dois travailler parce que j’ai beaucoup de parents dont je dois m’occuper, j’ai des amis et je fais également des études en ce moment (une maîtrise à distance en Espagne en Gastronomie)... J’ai de nombreuses activités tout au long de l’année ”.

Depuis quand faites-vous de la cuisine professionnelle?


“Depuis cinq ans, mais j’ai préparé mon premier riz à l’âge de sept ans ”.

Vous ne l’avez pas brûlé?


“Non, je ne pouvais pas le brûler, car j’avais ma maman à côté qui supervisait comment je m’en sortais”.

Que pensez-vous de ce boom que l’on voit autour des chefs depuis un certain temps au Venezuela?


“Plein de choses. Tout d’abord qu’à part d’être un phénomène un peu snob, ça nous est tombé dessus ...parce que ça nous est tombé dessus. Le Venezuela est un pays riche en gastronomie, il a une gastronomie enviable de part le monde et au sein de l’Amérique Latine, elle est l’une des plus divines par sa variété, ses saveurs et ses aromes. Nous les Vénézuéliens, nous assaisonnons d’une manière différente de celle du reste du monde et en plus c’est toujours très bon et vraiment délicieux.

Ce que nous faisons c’est simplement soutenir un peu ce qui constitue notre culture gastronomique. Il ne s’agit pas seulement du boom, mais du fait que le boom a permis de réfléchir un peu sur la façon de manger. Avant, les chefs se caractérisaient par le fait qu’ils étaient gros et qu'ils préparaient la bouffe pour que quelqu’un la mange. Au jour d’aujourd’hui, il y a des écoles qui te forment dans une culture gastronomique qui ne relève et n'enchante pas seulement le palais, mais combine également les sens et en plus procure la santé par le biais de la même préparation. C'est une avancée”.

Quelle est votre spécialité culinaire?


“La cuisine typique du Venezuela, la cuisine créole, la cuisine afro vénézuélienne est mon plus grand délire. Après, il y a la cuisine mantuana, pour les recettes et les préparations que j'ai vues dans toute ma famille. En fait, j'ai fait élaborer un punch mantuano que je commercialise. C'est une recette ancestrale que nous a laissé une tante qui l'avait eu d'une autre tante, qui l'avait servi une fois aux blancs créoles ici à l'époque de la Colonie. Évidemment,  nous avons amélioré ce punch avec le temps, en y ajoutant un petit quelque chose, car les ingrédients ont changé et la façon de s'exprimer est différente (...)
Pourquoi reprendre tout cela ? Parce que nous avons des ancêtres, nous sommes des descednants de l’indien, du noir et de l’espagnol. Aujourd’hui, nous sommes un mélange de tout le monde, du Cubain, du sud-africain, du portugais, de l’italien. Finalement, c’est pour cela que nous sommes si divins”.

Vous êtes-vous sentie discriminée à un moment quelconque à cause de votre couleur de peau?


“Non. Pour moi ça a vraiment été super que chez moi l’on m’ait appelé la Negra, une façon en fin de compte de m’identifier avec affection
. On m’appelle la Negra et je n’ai jamais pu voir  en cela autre chose que de l’affection. Je n’ai jamais ressenti le rejet par cela. Peut-être quand j’étais toute petite on voyait une certaine différence, parce que du point de vue culturel, on a grandi de façon différente et on le manifestait aussi de façon différente. Mais précisément dans mon développement professionnel, émotionnel, spirituel, je n’ai pas été discriminée ni chez moi, ni dans la cuisine, ni à l’université et nulle part ailleurs”.

Même pas à la télévision?


“Même pas à la télé. Je suis peut-être un exemple pour beaucoup de mes camarades, dans le sens de démontrer qu’ici on peut effectivement être toujours heureux, si on le veut. Et dans la vie, tout est question d’attitude. Je remercie Dieu, et si je devais naitre de nouveau, j’aimerais être noire, être la fille de la même mère et du même père, avoir les mêmes frères, avoir le même bonheur et au mieux avec quelque différence que pourrait me procurer la vie, mais j’aimerais redevenir la Negra  Yuraima Blanco”.

Qu’est ce qui vous fait pleurer en plus de l’oignon?


“Le bonheur me fait pleurer. Autant dire que je pleure souvent”.

Et qu’est ce qui vous émeut ?
“Le fait de générer le plaisir à travers les sentiments, faire un câlin. Aimer et être aimer me procure beaucoup d’émotions ”.

Qu’est ce que vous ne pardonnez pas?
“Le manque de loyauté”.

En quoi croyez-vous?
“En tout ce qui bouge”.

Votre plat favori?
Le pabellón”.

Et votre ingrédient favori?
“L’amour”.

Votre chef favori?
“Sumito Estévez”.

Pourquoi?
“Parce que je trouve qu’il me ressemble beaucoup. Il me semble qu’il cuisine avec le cœur. Il fait ce qu’il fait en pensant à lui, à son pays et à tout ce que cela peut générer”.

¿Quelle est votre fleur favorite?
“J’adore le lys”.

Et l’arôme qui vous excite le plus?
“C’est un peu compliqué avec les aromes, car presque tous me rendent folle. Mais disons le cacao, qui me rappelle mon enfance, ma mère et tout ce que j’ai vécu depuis ma naissance”.

Pas un cheveu dans la soupe

Qui est le plus fou à la  Kasa Loka?


“(Rires)... C’est difficile à dire, car tous deux qui sont dans la maison sont fous et ceux qui sont en dehors aussi. Ceux qui s’occupent des lumières, toute l’équipe est très folle, mais le plus fou dans la maison c’est Henrique (Lazo). Il est le plus fou de tous et c‘est lui qui m’injecte un peu de folie chaque jour ou qui la renforce en nous chaque jour”.

Y a-t-il encore un sage parmi vous?


“Non, ce n’est plus possible. Celui qui s’y trouve est fou. Nous sommes tous fous. Je pense que c’est vraiment une maison en folie, très en folie”.

Tirer profit de chaque expérience

ImageLe passage de Yuraima Blanco à Televen est précédé d’un curriculum où goût et aromes ont réussi à se conjuguer avec beaucoup de travail et pas moins d’études. La Negra est technicienne supérieure en Gestion de Personnel, mais elle a aussi pris plusieurs cours en gastronomie, secteur dans lequel elle excelle. Yuraima a été maitresse en la matière, et pense continuer de l’être, cette fois-ci  avec la première auberge-école du Venezuela qu’elle est en train de “cuisiner” sur les terres de Barlovento et qu’elle estime pouvoir inaugurer au milieu de la nouvelle année. Partant de là, elle ne se voit pas derrière le petit écran après décembre, quand prendra fin son contrat avec Televen. “Pour moi, cette expérience est tout à fait circonstancielle”, n’hésite pas à affirmer celle qui a su tirer quelque chose de bien de tout ce qu’elle a fait. Comme cette expérience qu’elle a réalisé avec El Hatillo, qu’elle a appelé “Tlon, el club del escenario”, et dont elle indique que “plus qu’un restaurant, il s’agissait d’un lieu que j’ai créé en pensant à la récréation de l’adulte contemporain. Ce que je faisais là-bas c’était fusionner la gastronomie avec la musique, la danse, la poésie et les arts plastiques. J’aimerais relancer un truc pareil, parce que pour moi, il n y a rien de plus grand dans le monde que de produire du plaisir, et malgré le fait que cet espace était si petit…il en procurait ”.

http://www.eluniversal.com/estampas/anteriores/161005/encuentros.shtml

Note : Aucune date n'apparait sur le lien ci-dessus, mais l'article semble dater de 2005

À propos, ce look, est-ce une pure coquetterie...?


“Ce  look obéit à plein de choses. Tout d’abord parce  que je l’adore, c’est une façon très facile de m’identifier. Deuxièmement,  parce que le temps me bouscule. J’ai besoin de vivre, je dois partager et comme j’ai beaucoup d’autres activités en dehors de la cuisine qui prend tant de temps... Et puis, je suis grégaire à cent pour cent, je suis quelqu’un qui a besoin du contact avec sa famille, avec ses amis et le temps pour le salon de coiffure avec des cheveux aussi  ‘frits’ que les miens, c’est compliqué. C’est pourquoi j’ai décidé tout simplement d’être plus libre dans ce sens, de disposer de plus de temps pour partager et grandir. Je me suis donc râpé la tête, et c’est utile en plus, car on ne me dira jamais au sujet d’un plat: ‘Oups, il y a un cheveu dedans!’. C’est donc toujours un repas sans cheveu (rires)”.

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