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Afrodescendants d'Amérique Latine et des Caraibes
28 juillet 2008

Extrait de L'Amérique Latine Afro entre 1800 et 2000 (I)

Par George Reid Andrews

Traduit de l'Espagnol par Guy Everard Mbarga

George Reid Andrews: Afro-Latinoamérica, 1800-2000 (Iberoamericana Editorial Vervuert, 2007)

George Reid Andrews: Afro-Latinoamérica, 1800-2000 (Iberoamericana Editorial Vervuert, 2007)

Dans ce livre, la première histoire de la diaspora africaine en Amérique Latine de 1800 au 21ème siècle,  George Reid Andrews synthétise l’histoire des afrodescendants dans l’ensemble des pays latino-américains, du Mexique aux Caraïbes jusqu’en Argentine. Il examine la manière dont les peuples africains qui arrivèrent dans la région et leurs descendants réalisèrent la transition de l’esclavage à la liberté et de quelle manière ils contribuèrent à la formation des nouvelles nations et sociétés de la région. Recherchant la liberté, l’égalité et la citoyenneté, les afro latino-américains se mobilisèrent dans les unités militaires, les partis politiques, les organisations civiques, les syndicats, les cultes religieux et d’autres mouvements sociaux, politiques et culturels. Ces mouvements  impulsèrent un processus de réforme social et de démocratisation politique qui a défini le développement historique de l’Amérique Latine au cours des 200 dernières années. Il s’agit là d’un livre indispensable pour toute personne intéressée par l’histoire et le futur de l’Amérique Latine, par l’esclavage et par la diaspora africaine.

«UNE MEILLEURE TRANSFUSION SANGUINE»: LE BLANCHISSEMENT, 1880-1930

Entre 1800 ET 1900 Les afro latino-américains transformèrent les  termes de leur participation dans la vie nationale et en le faisant, ils aidèrent à construire les nations et les sociétés du 19ème siècle. Leurs luttes pour la citoyenneté et pour le progrès économique et social se poursuivirent et se projetèrent au 20ème siècle, mais dans des conditions structurelles nouvelles et différentes.

La première de ces conditions était économique : le «boom des exportations» au cours du changement de siècle. À mesure que l’Europe Occidentale et les États-Unis entraient dans la Seconde Révolution Industrielle et que leurs populations vivaient un processus d’urbanisation croissante, leurs demandes en matière première et en produits alimentaires latino-américains augmentèrent également. Viande et céréales d’Argentine et d’Uruguay; sucre des Caraïbes; café du Brésil, de Colombie et d’Amérique Centrale; caoutchouc du Brésil; pétrole du Mexique et du Venezuela... Ces autres produits et d’autres étaient consommés dans les pays industrialisés en plus grande quantité que jamais auparavant. Entre 1870 et 1912, la valeur annuelle des exportations latino-américaines quintupla presque, passant de 344 millions de dollars à 1,6 milliards de dollars. En 1912, six pays latino-américains —Argentine, Chili, Costa Rica, Cuba, Porto Rico et Uruguay— exportaient plus de biens par habitants que les États-Unis.

Un second changement important fut politique et s’opéra suite au boom de l’exportation. Renforcés par les revenus tirés des taxes perçues du commerce d’exportation, les gouvernements nationaux furent dès lors capables de mettre fin aux guerres civiles et d’imposer l’autorité centrale sur leurs sociétés. Bien que ces gouvernements exercèrent le pouvoir par le biais d’élections frauduleuses et contrôlées (comme en Argentine et en Colombie), de dictatures (Venezuela), ou grâce à une combinaison des deux (au Mexique), gouvernèrent aux noms de quelques élites nationales enrichies et renforcées dans leur pouvoir par le commerce d’exportation. Même au Brésil où le régime monarchique avait amené l’ordre et la stabilité depuis  1840, les planteurs de café étaient mécontents de l’abolition. Recherchant une plus grande présence sur la scène politique nationale, ils s’allièrent en 1889 avec différents officiers militaires pour renverser la monarchie et la remplacer par un Nouveau régime républicain, dominé par les intérêts des propriétaires terriens.

S’appuyant financièrement sur la richesse générée par l’exportation, ces régimes oligarchiques n’avaient plus besoin de faire des concessions aux anciens esclaves et aux Noirs libres qui demandaient la liberté, la terre et les droits citoyens. Ils ne résilièrent pas les lois anti-castes et d’émancipation de la période indépendantiste, et certains continuèrent même à invoquer l’égalité raciale comme l’une des vertus cardinales de la vie républicaine. Mais, à mesure que le pouvoir se déplaça des mouvements «populaires» de la moitié du siècle aux élites exportatrices, les engagements officiels sur l’égalitarisme racial perdirent également leur force, sapés dans leurs bases par le troisième changement important de l’époque du boom de l’exportation: l’arrivée d’un nouveau corpus de pensée raciale légitimé par le prestige et le pouvoir de la science européenne et nord-américaine.

Ce furent les années du racisme scientifique et du darwinisme social en Europe et en Amérique du Nord, de la ségrégation (Jim Crow) dans le sud des États-Unis et les débuts de l’Apartheid en Afrique du Sud. À une époque où le commerce florissant de l’exportation resserrait les liens de l’Amérique Latine avec l’Europe et les États-Unis, ces courants internationaux de pensée et de pratique raciste ne pouvaient pas passer inaperçus en Amérique Latine. Le racisme scientifique fut rapidement adopté par les élites de la fin du 19ème et des débuts du 20ème siècle, plongées dans l’affrontement du défi de la manière de transformer leurs nations «en retard» et sous-développées en républiques modernes et «civilisées». Cette transformation, conclurent-ils, ne devrait plus être simplement politique ou économique, elle devait également être raciale. Pour être civilisée, l’Amérique Latine devait redevenir blanche.

LA GUERRE CONTRE LA NEGRITUDE

Dans tous les pays de la région, les intellectuels, les politiciens et les élites des États luttèrent contre le problème de l’héritage racial latino-américain.

En tant que croyants convaincus du déterminisme racial, ils ne doutaient pas du fait que la trajectoire historique des individus, des nations et des peuples était déterminée de manière irrémissible par leurs origines raciales. Les trouvailles de la science européenne ne pouvaient pas être réfutées, à plus forte raison lorsque ces trouvailles se confondaient avec les croyances inamovibles des élites latino-américaines. Après 300 ans d’esclavage colonial et de Régime de Castes, ils croyaient fermement à l’infériorité innée de leurs compatriotes Noirs, indigènes, métisses et mulâtres. De quelle manière pouvaient-ils vaincre cet héritage, et comment créer les conditions sociales et culturelles nécessaires pour entrer dans le concert des nations «civilisées» avec un avenir de progrès?

La réponse latino-américaine à ce dilemme fut un effort intense, visionnaire et finalement chimérique pour s’auto transformer, en partant de sociétés racialement mixtes et à prédominance non blanches pour devenir des «républiques blanches», peuplées d’européens et de leurs descendants. «Le Venezuela n’a pas de salut à moins qu’il ne se résolve à atteindre la condition de pays blanc. Telle est la clé du futur», proclamait l’intellectuel vénézuélien Rufino Blanco Fombona en 1912. «Nous sommes à deux pas de la jungle à cause de nos Noirs et de nos indiens... une grande partie de notre pays est mulâtre, métisse, et zambo, avec tous les défauts que [le philosophe britannique Herbert] Spencer a reconnu à l’hybridation; nous devons transférer du sang régénérateur [blanc] dans ses veines».

Les élites cubaines pensaient en des termes presque identiques. «On peut constater le danger qu’il y a pour la race Blanche si le courant migratoire  [européen] s’arrête», prévenait le  Diario de la Marina en 1900, «et la nécessité de l’impulser à un niveau beaucoup plus important que jusqu’à présent afin d’écarter définitivement le dit danger». Le jeune intellectuel Fernando Ortiz, qui se distingua plus tard par ses recherches en histoire et en culture afrocubaine commença sa carrière par des appels passionnés à l’immigration Blanche. «La race est peut-être l’aspect le plus fondamental que nous devons considérer concernant l’immigrant», affirmait-il en 1906. Et étant donné que  «la race noire» s’était avérée «plus délinquante que la blanche située dans une position sociale identique... l’immigration blanche est celle qu’il faut favoriser». Cette immigration injectera  «dans le sang de notre peuple les globules rouges que nous vole l’anémie tropicale et [sèmera] en nous les  germes d’énergie, de progrès, de vie qui  en fin, que semblent être aujourd’hui le patrimoine des peuples plus froids».

Les législateurs de l’État de  São Paulo perçurent également cette question en termes de sang. Dans son exhortation à ses collègues pour l’utilisation des fonds afin de subventionner l’immigration européenne, le législateur (et planteur de café) Bento de Paula e Souza affirmait qu’ «il faut inoculer un nouveau sang dans nos veines, car le notre est déjà dilué», ce à quoi ses auditeurs répondirent positivement : «une meilleure transfusion sanguine». Même quelques intellectuels afrobrésiliens tels que  Raimundo Nina Rodrigues et Francisco José de Oliveira Vianna firent la promotion de la nouvelle orthodoxie. Tout en reconnaissant que «nous connaissons des hommes Noirs ou de couleur au mérite indubitable et créanciers estimables et respectable», Rodrigues concluait que «ce fait ne doit entraver la reconnaissance de cette vérité: que jusqu’à présent, les Noirs n’ont pas pu se constituer en peuples civilisés ». C’était la raison pour laquelle le pays devait être reconstruit par le biais de l’immigration européenne, un processus qu’Oliveira Vianna documenta dans un rapport connu et influent à l’époque, sur «L’Évolution Raciale», et qui fut publié comme partie du recensement national de 1920.

Cependant, l’immigration n’était que le premier pas pour blanchir et européiser les sociétés latino-américaines. Elles ne devaient pas seulement être blanchies racialement et démographiquement, elles devaient également l’être culturellement et esthétiquement. Une forme prise par le blanchissement fut la transformation physique des plus grandes villes de la région, dont les centres urbains furent détruits et reconstruits dans le style européen moderne. Les ruelles coloniales étroites furent démolies pour construire d’énormes boulevards. Des infrastructures modernes furent installées, telles que des égouts et les canalisations d’eau courante, des réseaux électriques et des lignes de tramway et de métro. Les édifices coloniaux d’un et de deux étages furent démolis et remplacés par des édifices à plusieurs niveaux avec des locaux commerciaux et plusieurs appartements avec des locaux commerciaux dans le style de Paris et de Londres.

George Reid Andrews: Afro-Latinoamérica, 1800-2000 (Iberoamericana Editorial Vervuert, 2007)

    NOM 

George Reid Andrews

George Reid Andrews

CURRICULUM 

Professeur d'Histoire Latinoaméricaine et directeur du Département d’Histoire de l’Université de Pittsburgh (EE UU). Parmi ses publications antérieures se distinguent Los afroargentinos de Buenos Aires, 1800-1900 et Negros e blancos en São Paulo, Brasil, 1888-1988 

http://www.ojosdepapel.com/Index.aspx?article=2748

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